L'affirmation du monde
"J'ai
interrogé la terre et elle m'a dit: 'Je ne suis pas'; et tout ce qu'il
y a aussi en elle a confessé la même chose. J'ai interrogé la mer et
les abîmes et tout ce qui rampe parmi les âmes vivantes et ils m'ont
répondu: 'Nous ne sommes pas ton dieu, cherche au-dessus de nous.' J'ai
interrogé le souffle des brises et l'air tout entier avec ses habitants
m'a dit: 'Anaximène* se trompe, je ne suis pas Dieu'. J'ai interrogé le
ciel, le soleil, la lune, les étoiles: 'Nous non plus, nous ne sommes
pas le dieu que tu cherches', disent-ils. Et j'ai dit à tous ceux
qui se tiennent autour des portes de ma chair: 'Parlez-moi de mon Dieu,
que vous n'êtes pas, dites-moi quelque chose de lui.' Et ils
s'écrièrent d'une grande voix: 'C'est lui-même qui nous a faits.' Mon
interrogation était la tension de mon désir et leur réponse était leur
beauté."
Saint Augustin, Confessions, X, 6, 9.
Le désir d'Augustin, parce qu'il est infini, se heurte aux défauts des choses finies. C'est lorsqu'il reconnaît que nulle d'entre elles n'est Dieu, qu'il peut apprécier pleinement leur beauté, et avec d'autant plus d'admiration qu'il les considère dans l'horizon de Celui qui les a faites.
Si nous faisons d'une chose finie notre absolu, notre désir ne sera
jamais comblé. Peut-être s'éteindra-t-il à la longue, en raison de
notre lassitude. Mais cela n'est-il pas pire encore qu'un
manque continuel?
Dieu seul, qui est infini, comble parfaitement notre désir sans l'éteindre jamais.
Nous n'acquiescerons jamais réellement au monde si nous voulons en faire notre dieu, si nous refusons de voir qu'il est imparfait. Si nous attendons tout du monde, ou bien nous serons déçus et nous finirons par le haïr, ou bien nous devrons, jusqu'à un certain point, renier notre désir et notre espoir, et oublier ce que nous sommes.
Par-delà l'idolâtrie du monde ou son rejet, l'amour de Dieu nous
donne d'aimer les choses à leur juste valeur. Elles ne sont pas tout,
car elles ne sont pas Dieu. Mais elles ne sont pas rien: elles sont
l'oeuvre de Dieu, et à ce titre elles sont bonnes et nous parlent de Sa bonté.
Il est donc sensé de les aimer pour leur Origine, et il est
sensé de les aimer pour elles-mêmes, mais il est insensé de les aimer
plus que leur Origine.
Ainsi, la foi n'implique pas, comme on le croit souvent, une négation du monde. Mais la reconnaissance du Dieu créateur ouvre l'espace nécessaire à un véritable Oui à la terre et à notre existence sur la terre.
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*Anaximène: philosophe présocratique qui faisait de "l'air" le principe fondamental du réel.